• Tu aurais voulu partager cette odeur ce matin lorsque tu as ouvert tes volets. Cette odeur d'herbe et de terre mouillée, cette odeur de bois humide. Tu es resté un moment, les yeux fermés, à te laisser envahir par ces senteurs. Tu venais de passer une mauvaise nuit et la fraîcheur matinale de ces parfums a tout effacé. Tu as pris une photo, mais tu ne peux capturer cette odeur spéciale, l'odeur de ce matin de paques. Tu n'as même pas les mots pour la décrire, Proust aurait fait ça à merveille. Mais toi tu n'es pas de taille.

    Tu voulais mettre un disque des White Stripes ce matin, White blood cells, parce qu'il y a une chanson de cet album qui te trotte dans la tête depuis hier soir, même s'il y a beaucoup d'autres choses qui s'entrechoquent en toi depuis hier soir. Tu ne l'as pas mis ce disque. Tu as eu peur que cette musique fasse disparaître les sensations ressenties ce matin en ouvrant ta fenêtre. Alors tu as choisi le silence.

    Tu restes là, devant ton écran, dans le silence. Il y a juste quelques bruits qui viennent du dehors, de la fenêtre de ta chambre que tu as laissée grande ouverte. Tu entends quelques oiseaux.



    Ca te donne un petit goût d'ailleurs. En fait, c'est cela. Cette odeur ce matin, elle avait un goût d'ailleurs. Tu devais avoir besoin de cela. Un peu de silence et un peu d'ailleurs.


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  • Depuis trop longtemps tu ne penses qu'en terme de "combien de temps". Combien de temps depuis que... combien de temps avant que...
    Comme si tu avais aboli toute notion de présent pour ne vivre que dans un passé révolu, dans l'espoir d'un avenir plus radieux. Tu vis dans le souvenir de cette passion éteinte et dans les fantasmes d'espoirs illusoires censés en ranimer de nouvelles. Comme si tu avais stoppé la marche de ton existence.
    Tu as l'impression de te trouver au centre d'un maëlstrom temporel où le passé et le futur se fondent entre eux.
    Tu as besoin de présent comme tu as besoin de sa présence...

    "You're too old to lose it, too young to choose it
    And the clocks waits so patiently on your song"

    David Bowie : Rock'n roll suicide


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  • Tu venais de terminer La fin d'une liaison de Graham Greene. L'histoire d'une femme mariée et de son ancien amant, l'histoire d'un amour passionnel et de ses déchirures. La femme s'appelle Sarah. Au milieu du livre il y a ce passage, extrait du journal de Sarah. Tu l'as lu et relu plusieurs fois de suite. Tu l'as ensuite souligné de deux traits de crayon de papier dans la marge. Comme d'autres passages d'ailleurs, mais celui-ci t'a profondément troublé. Tu te poses et te reposes plein de questions à la lecture de ces quelques lignes. Tu te poses toujours trop de questions.

    "Je sais qu'il a peur du désert qui l'environnerait si notre amour devait finir, mais il n'arrive pas à comprendre que ma crainte est exactement la même. Ce qu'il dit tout haut, je me le dis en silence et je l'écris ici. Que peut-on construire dans le désert? Parfois, à la fin d'une journée où nous avons fait l'amour très souvent, je me demande s'il n'est pas possible que le désir physique s'épuise, et je sais qu'il se le demande aussi et qu'il a peur de cette borne où commence le désert. Que ferons-nous dans le désert si nous nous perdons l'un l'autre? Comment peut-on continuer à vivre après cela?
    Il est jaloux du passé, du présent et de l'avenir. Son amour ressemble à l'une de ces ceintures de chasteté qu'on employait au Moyen Age, ce n'est que lorsqu'il est avec moi, en moi, qu'il se sent en sécurité. Si seulement je parvenais à le rassurer, alors nous pourrions nous aimer dans la paix et le bonheur sans cette frénésie sauvage, et le désert reculerait, hors de notre vue."

    Graham Greene : La fin d'une liaison

    Je remonte le temps.


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